La lutte pour protéger une tortue amazonienne en voie de disparition
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Paul Rosolie, fondateur de Junglekeepers, dresse un bilan depuis l’Amazonie des efforts déployés pour protéger les tortues taricaya, une espèce menacée, face au braconnage et à la destruction de leur habitat grâce à des initiatives de conservation portées par les communautés locales.
Auteur
Paul Rosolie
Sujets
Le long des affluents du fleuve Amazone, non loin de l’endroit où la forêt tropicale laisse place à la plaine inondable, une scène curieuse s’offre aux visiteurs : des rangées de petites tortues se reposent sur des troncs blanchis par le soleil, les yeux mi-clos. En regardant de plus près, on aperçoit des papillons posés délicatement sur leur tête qui lèchent le sel accumulé autour de leurs yeux.
Ce sont des tortues taricaya, ou Podocnemis unifilis, l’une des espèces les plus visibles, mais également de plus en plus vulnérables d’Amazonie. Connues pour leur carapace hydrodynamique lisse et leurs pattes palmées, elles sont devenues le symbole de la limite toujours plus ténue entre les zones sauvages et l’influence humaine.
Ce moment paisible à la surface de la rivière cache cependant une réalité plus sombre. La tortue taricaya est désormais classée comme espèce vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et figure également à l’annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Bien que ces animaux restent communs dans la majeure partie des bassins de l’Amazone et de l’Orénoque, la pression croissante exercée par le braconnage, le trafic fluvial et la perturbation de leur habitat a poussé de nombreuses populations locales au bord de l’extinction.

Ces traces qui les trahissent
Chaque saison sèche, lorsque les berges s’élargissent et que les bancs de sable s’assèchent, les femelles taricaya se traînent sur le rivage pour pondre leurs œufs. Les traces qu’elles laissent derrière elles, une traînée centrale flanquée d’empreintes de pattes symétriques, sont faciles à repérer, même de loin. Les bateaux remplis de cueilleurs de noix du Brésil ou de pêcheurs peuvent suivre ces traces jusqu’aux nids.
Et c’est là le problème. Les braconniers sont désormais les prédateurs les plus redoutables des œufs de taricaya. Alors que les menaces naturelles telles que les oiseaux, les crabes et les reptiles éliminent les individus les plus faibles, les humains vident souvent les nids en une seule visite.
Selon une étude réalisée en 2018, les taux de braconnage des nids ont chuté de plus de 75 % dans les communautés qui ont mis en place des programmes de surveillance locaux et des mesures incitatives en faveur de la conservation. Cependant, là où aucune protection n’existe, la récolte se poursuit à des niveaux insoutenables.

Une riposte inédite
Chez Junglekeepers, nous avons pris des mesures concrètes. Désormais, les gardes forestiers patrouillent quotidiennement le long du fleuve, en particulier pendant la saison de nidification. Leur simple présence dissuade de nombreux opportunistes, mais l’année dernière, notre équipe a commencé à construire des sites de nidification artificiels juste à côté du poste central des gardes forestiers. Construits à partir de sable prélevé sur les berges du fleuve, ces enclos servent à abriter et à surveiller les œufs déplacés depuis les zones à haut risque.
Cette installation contrôlée permet aux gardes forestiers de surveiller les nids jour et nuit. Une fois les œufs éclos, les tortues sont relâchées dans la nature pendant la nuit, moment où le risque de prédation est le plus faible.
Les photos montrent clairement les résultats : des centaines de nouveau-nés regroupés dans un vieux bateau réaménagé en crèche. C’est un système improvisé, mais il fonctionne.

Un réseau d’initiatives
La conservation des tortues ne se limite pas à l’Amazonie péruvienne. À Trinidad, l’organisation à but non lucratif Nature Seekers, soutenue par Age of Union, œuvre depuis des décennies à la protection des tortues luths en adoptant un modèle basé sur l’implication communautaire. Age of Union appuie cette initiative, ainsi que d’autres projets similaires, par un soutien financier direct et le rayonnement de récits inspirants, met en valeur la façon dont les actions sur le terrain peuvent prendre de l’ampleur grâce à des réseaux d’intervenants locaux engagés.
Il existe plus de 300 espèces de tortues dans le monde, dont un grand nombre sont aujourd’hui menacées d’extinction. Le sort de la taricaya reflète celui de nombreuses tortues d’eau douce et marines : elles ont une longue espérance de vie, une reproduction lente et une forte vulnérabilité face aux pressions humaines.
Chez Junglekeepers, nous croyons que la protection de ces espèces ne se résume pas à des statistiques. Elle consiste à préserver l’intégrité d’un réseau fluvial dans lequel chaque créature joue un rôle essentiel. Lorsque vous voyez une tortue taricaya avec un papillon posé sur sa tête, vous êtes témoin d’un équilibre fragile. C’est cette fragilité qui motive notre travail.
Notre objectif n’est pas seulement de protéger la faune sauvage, mais également de préserver la possibilité, pour les générations futures, de vivre des instants aussi précieux que celui-ci.
Crédits
Photos publiées avec l’autorisation de Paul Rosolie
Sujets
Article écrit par
Paul Rosolie
Paul Rosolie est un écologiste et auteur américain. Publiés en 2014, ses mémoires intitulés Mère de Dieu relatent son travail de conservation dans la forêt amazonienne du sud-est du Pérou.
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