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Les tortues luths sont confrontées à une menace existentielle. Rencontre avec le groupe trinidadien qui se bat pour leur avenir.

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Soutenue par Age of Union, l’organisation communautaire Nature Seekers a radicalement changé le destin des tortues luths grâce à un inlassable travail de conservation sur le terrain.

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Sur la plage de Matura à Trinité, les sargasses sont parfois si denses qu’elles ressemblent à un champ d’herbes. Pour les tortues luths, ces massives plaques d’algues agissent comme des barrières maritimes, en ralentissant, voire en empêchant, leur déplacement vers le rivage où elles pondent leurs œufs pendant la saison de reproduction. Ce problème pourrait s’aggraver avec l’intensification des changements climatiques et la hausse de la température de l’eau à l’échelle mondiale. La prolifération des algues en serait d’autant plus exacerbée.

Se débarrasser des sargasses n’est pas une tâche facile, mais Nature Seekers, une organisation environnementale à but non lucratif établie à Trinidad, déploie des équipes pour remédier au problème. Celles-ci utilisent des râteaux pour nettoyer délicatement la plage et les eaux peu profondes, en veillant à minimiser la quantité de sable perdue, et procèdent parfois à des interventions plus radicales.

«Nous disposons d’une remorque dans laquelle nous mettons les sargasses et les déplaçons vers les eaux libres, explique Adrian Wilson, responsable de la recherche chez Nature Seekers. Il s’agit avant tout de dégager la zone de nidification.»

Dégager les zones de nidification — et les rendre sûres et confortables pour les tortues luths — est une priorité absolue pour Nature Seekers depuis sa création en 1990. Cette petite organisation communautaire, financée principalement par des subventions, le soutien du tourisme et des initiatives commerciales communautaires, a été fondée pour protéger la tortue luth, qui figure actuellement sur la liste des espèces vulnérables de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Au départ, le braconnage était la principale préoccupation Nature Seekers.

«Les parents de la plupart de nos employés étaient braconniers; ils mangeaient des tortues luths, ils mangeaient les œufs, rappelle Wilson. C’était une chose normale. Dans les années 1980 et au début des années 1990, environ 50 % des tortues nicheuses étaient abattues chaque nuit. J’imagine que certaines d’entre elles étaient tuées simplement par plaisir. Certains braconniers vendaient les nageoires, si bien qu’on trouvait des tortues sans nageoires ou avec des marques de couteau sur le dos ou les flancs. Les œufs étaient couramment utilisés pour préparer un punch soi-disant aphrodisiaque».

Les premiers membres de Nature Seekers ont dû changer le regard des habitants de la région de Matura sur les tortues. Ils ont lancé des campagnes d’éducation pour informer les communautés de l’importance des tortues, de leur vulnérabilité et de leur risque d’extinction si le braconnage ne cessait pas. Ils ont également fait pression sur le gouvernement pour que des sanctions soient prévues en cas de braconnage et ils ont surveillé attentivement les nids de tortues et combattu les braconniers. Ce travail peu glorieux a fini par gagner le respect général de la communauté et a entraîné la fin du braconnage de la tortue luth dans la région.

Depuis les années 2000, de nouveaux défis ont forcé Nature Seekers à élargir son champ d’action. Grâce à un engagement de 1,5 million de dollars de la part de Age of Union en 2022, l’organisation a pu agrandir son équipe, payer des salaires plus élevés et jeter les bases d’une future durabilité économique. 

Le financement permettra notamment à Nature Seekers d’améliorer sa collecte de données afin de mieux comprendre la santé des tortues luths et, plus largement, de la plage de Matura. Grâce à l’achat d’un drone, l’équipe peut surveiller de plus grandes sections de la plage, tandis qu’un personnel plus nombreux et mieux formé pourra aider à la collecte de données sur le terrain en mesurant, marquant et pesant les tortues, en comptant les œufs et en surveillant l’état de santé général de celles-ci.

Cette capacité accrue permet à Nature Seekers de faire face à d’autres menaces auxquelles sont confrontées les tortues, telles que les inondations et l’érosion des plages. Depuis quelques années, l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation des précipitations ont inondé certaines parties de la plage et des zones de nidification voisines. Cette situation limite l’étendue potentielle des sites de nidification des tortues et peut emporter les nids existants. 

Si davantage de membres de l’équipe patrouillent sur la plage, davantage d’œufs de tortues pourront être récupérés et protégés.

« Nous avons construit des écloseries artificielles que nous remplissons de sable provenant de la plage, explique Wilson. Lorsque nous trouvons des œufs nichés dans des zones susceptibles d’être érodées ou recouvertes de sargasses, nous enlevons ces couvées et les enterrons dans nos écloseries artificielles. Nous avons effectué un petit test l’année dernière et nous avons constaté que les taux d’émergence des éclosions étaient très satisfaisants. Les chiffres étaient assez similaires à ceux observés sur une plage dégagée, avec un taux de réussite de 60 à 70 %. »

Érosion de la plage de Matura

Tout se ligue contre les bébés tortues luths; seule une sur mille atteint l’âge adulte. Elles doivent lutter contre des prédateurs terrestres et aquatiques, ainsi que contre des conditions climatiques difficiles et un manque de nourriture. La crise climatique et les retombées de l’activité humaine ne font qu’aggraver la situation.   

Bien souvent, les membres du personnel qui effectuent des patrouilles de nuit tombent sur des tortues prises dans des filets ou transpercées par des hameçons.  

« Nous avons découvert une tortue qui avait un hameçon d’une ligne de pêche logé dans son épaule gauche, relate Wilson. La ligne passait à travers sa bouche, alors il y avait peut-être un autre hameçon à l’intérieur de sa bouche que nous n’avons pas pu retirer. »

Ces images macabres sont le résultat de prises accessoires, c’est-à-dire de l’impact involontaire, mais dévastateur des engins de pêche sur des espèces qui ne sont pas censées être capturées. La Trinité ne dispose pas de zones marines protégées dignes de ce nom, ce qui signifie que toutes ses eaux peuvent être exploitées par les pêcheurs. De ce fait, les prises accessoires sont devenues la plus grande menace qui pèse sur les tortues. Nature Seekers a milité pour que les pêcheurs réduisent la longueur de leurs chaluts de 100 à 50 pieds afin d’éviter les collisions accidentelles avec les tortues et d’autres espèces qui nagent plus en contrebas de la surface de l’eau.

Les pêcheurs pensent attraper plus de poissons avec des filets plus grands, mais notre projet a démontré le contraire. Les pêcheurs ciblent des espèces qui vivent jusqu’à 50 pieds de profondeur. S’ils réduisaient la taille de leurs filets, ils attraperaient sensiblement la même quantité de poissons qu’avec des filets plus grands, explique Kyle Mitchell, administrateur de systèmes pour Nature Seekers. Cela réduirait également le nombre de tortues capturées. En d’autres termes, s’ils attrapent moins de tortues, ils passent moins de temps à s’occuper des tortues qui s’emmêlent dans leurs filets et ils n’ont pas à réparer autant de déchirures».

À la fois pratique et communautaire, ce type de résolution de problèmes caractérise l’ensemble des programmes de Nature Seekers. Lorsque la pollution s’échoue sur le rivage, Nature Seekers travaille avec des artisans locaux pour transformer les déchets en bijoux et autres articles que les touristes peuvent acheter. Une fois par an, l’organisation organise un grand nettoyage de la plage pour nettoyer en profondeur le sable juste avant la saison de nidification. Les visites éducatives qu’elle propose aux touristes créent une coalition internationale de défenseurs et des emplois importants pour les gens de la région.

Kyle Mitchell, administrateur de systèmes pour Nature Seekers

Face à l’aggravation des crises du climat et de la biodiversité, Nature Seekers a également besoin du soutien des gouvernements. La protection des tortues luths passe par la création de zones marines protégées, l’adoption de mesures visant à limiter les prises accessoires et l’augmentation des fonds alloués à la conservation. De façon plus générale, les gouvernements du monde entier doivent investir dans l’action climatique afin d’empêcher une hausse catastrophique des températures qui mettrait en péril l’existence même de la vie marine.

« Notre conservation est vraiment une ressource partagée, conclut Wilson. Cette zone est l’un des derniers bastions des tortues luths de l’Atlantique du Nord-Ouest. Le travail que nous effectuons ici a une incidence directe sur l’ensemble de la population. »

Crédits

Brendan Delzin.

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