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Les vies entrelacées des oiseaux et des arbres de l’Amazonie de l’Ouest

Article

Junglekeepers Founder and Field Director Paul Rosolie shares how the ancient shihuahuaco trees form the foundation of a complex ecosystem, supporting countless species in the Amazon rainforest. With illegal logging on the rise, conservation efforts highlight the urgent need to protect these vital natural resources.

Auteur

Paul Rosolie

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Récemment, j’ai pu apercevoir un couple d’aras qui survolaient la canopée de la forêt amazonienne. Les aras chloroptères (Ara chloropterus) sont monogames, c’est-à-dire qu’ils s’accouplent pour la vie, et ce couple d’oiseaux rentrait au bercail pour la soirée. Dans la lumière du crépuscule, leurs ailes rouges et bleu vif contrastaient avec les ombres vertes de la jungle. Les deux oiseaux se sont posés sur un grand arbre dont les branches surplombaient le reste de la forêt. Ils ont trouvé un petit trou, un nid unique, et y ont pénétré.

Cette observation confirme la dépendance des aras aux grands arbres des anciennes forêts amazoniennes. Les aras rouges et verts ne construisent pas de nids comme certains oiseaux et, par conséquent, ont besoin d’être à l’abri des intempéries et des prédateurs pour élever un oisillon en bonne santé. Ces oiseaux préfèrent tellement ces grands arbres qu’ils ne nichent pratiquement nulle part ailleurs. Des études et des observations locales ont montré que les aras nichent principalement dans les shihuahuaco.

Le shihuahuaco peut atteindre 60 mètres de haut et dépasse parfois les 1 000 ans. L’âge estimé de la plupart des arbres de plus de 1,2 mètre qui se trouvent dans la réserve de Junglekeepers est de plus de 1 200 ans. 

Aras survolant la canopée de la forêt amazonienne.

Il est difficile d’imaginer qu’une pousse de shihuahuaco se trouvait ici dans la forêt lors de la plupart des grands événements historiques que l’on peut tous citer. La Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, la peinture de la chapelle Sixtine, la fondation de l’Université d’Oxford, et bien d’autres encore. Nos grands-parents, nos arrière-grands-parents et la plus grande partie de l’histoire de l’humanité ont existé alors que cet arbre poussait tranquillement dans la vaste jungle. 

Parmi les autres espèces qui vivent sur les arbres shihuahuacos, on note des fourmis coupeuses de feuilles, des termites, des guêpes, divers lézards et serpents, des grenouilles, des singes, des kinkajous, des grenouilles et plus d’oiseaux que ce paragraphe n’est capable d’en contenir. Les shihuahuacos sont de véritables gratte-ciel biologiques qui abritent une grande diversité d’espèces. Ces arbres surplombant la canopée, les aigles harpies nichent dans les branches les plus hautes et s’en servent comme points d’observation.

Les aras se plaisent à nicher dans les shihuahuacos et recherchent les cavités laissées par les branches tombées au sol. Compte tenu de la disponibilité limitée de ces sites de nidification, seulement 20 % des aras peuvent se reproduire chaque année. Les aras peuvent utiliser le même trou de nidification pendant des centaines d’années, ce qui montre leur lien étroit avec les arbres. Cette relation est cruciale, car ces arbres soutiennent un large éventail d’espèces dans l’écosystème, mais dans la région péruvienne de Madre de Dios, où Junglekeepers travaille, l’avenir de ces arbres anciens est devenu une préoccupation de taille.

Paul Rosolie documente de très vieux shihuahuacos empilés et prêts à être broyés.

Entre 2010 et 2012, l’autoroute transamazonienne a été achevée. Traversant l’Amérique du Sud, cette route permet de voyager de Sao Paulo sur la côte atlantique, à travers l’Amazonie, jusqu’au Pérou, et de franchir les Andes jusqu’à Lima. C’est la première fois de l’histoire qu’une route commerciale terrestre ouvre l’intérieur de l’Amazonie aux marchés asiatiques, augmentant ainsi la demande de bois tropicaux.

L’achèvement de la nouvelle autoroute a permis un accès sans précédent à de vastes régions de l’Amazonie, jusqu’alors intactes. Les images satellites montrent très clairement cette transformation : des régions de jungle dense ont été disséquées par des routes, des terres agricoles et la déforestation. Au Pérou, cette évolution a entraîné une augmentation notable de l’exploitation forestière illégale, visant des bois précieux tels que l’acajou, le cèdre dAmérique et, récemment, le shihuahuaco.

Les propriétaires fonciers locaux dont les concessions sont destinées à la récolte des noix du Brésil ont également contribué à cette dégradation en vendant les droits sur leurs arbres à bois aux exploitants forestiers. La coupe d’un arbre dont le bois est aussi dense que celui d’un shihuahuaco était quasiment impossible il y a quelques décennies, mais les avancées technologiques en matière de tronçonneuses ont changé la donne. Aujourd’hui, les tronçonneuses équipées de dents en diamant sont très répandues, ce qui permet aux bûcherons non seulement d’abattre les arbres shihuahuacos, mais aussi de les transformer sur place. Lorsque le bois est transporté en aval de la rivière jusqu’à Puerto Maldonado, il peut être empilé et caché parmi le bois récolté légalement; il est donc difficile de détecter le bois illégal.

Un singe-araignée dans la canopée de la jungle.

L’ingénieure forestière péruvienne Tatiana Espinosa a fondé ARBIO, une organisation à but non lucratif (ONG) dont la mission est de protéger ces arbres anciens. Selon Tatiana Espinosa, le taux actuel d’extraction du shihuahuaco n’est pas viable. 

« Outre la lenteur de la croissance, le taux de recrutement biologique est très faible : il n’y a pas assez de jeunes arbres pour remplacer les adultes coupés », explique-t-elle. 

Une étude a révélé le même phénomène dans la région de Manu, à l’ouest de Madre de Dios. Les fiches de données de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) indiquent que le Dipteryx micrantha et le Dipteryx ferrea sont en danger critique d’extinction et vulnérables, mais SERFOR, le Service national des forêts et de la faune du Pérou, ne les classe toujours pas parmi les espèces menacées.

« Il est inacceptable que notre gouvernement ait caché au public les preuves scientifiques qui montrent clairement qu’une action urgente est nécessaire », a déclaré Julia Urrunaga, directrice du programme péruvien de l’ONG internationale Environmental Investigation Agency (EIA). La réglementation du commerce du shihuahuaco dans le cadre de la CITES aidera notre pays à lutter contre l’exploitation forestière illégale et la corruption. Les acteurs du secteur qui opèrent déjà de manière légale et durable en bénéficieront et n’ont rien à craindre; ils devraient donc soutenir la proposition. »

Aras verts en Amazonie.

D’une certaine manière, les dommages causés aux écosystèmes de l’Amazonie sont comparables au démontage des rivets d’une aile d’avion. A priori, quelques rivets manquants sont sans gravité, mais à long terme, le fait d’en retirer davantage peut affaiblir l’aile et risquer de la faire tomber. Dans la même veine, la perte d’arbres anciens perturbe le réseau de vie complexe de la forêt, qui est essentiel à la survie de nombreuses espèces.

Tout récemment, lors d’une nuit dans la forêt, je me suis aventuré en dehors du sentier pour examiner la base d’un très grand shihuahuaco. À la lumière de ma lampe frontale, j’ai pu voir de nombreuses lianes, broméliacées, mousses, lichens et même des cactus poussant sur cet arbre ancien. Des graines d’un vert éclatant étaient répandues à la base du tronc, attirant des dizaines de chauves-souris frugivores. Je n’ai vu ce comportement qu’à quelques reprises : des chauves-souris portant des graines de shihuahuaco brillantes dans leur gueule se mouvaient dans la nuit. Au passage, elles laissaient parfois tomber ces graines ovales près de moi, comme si elles partageaient leur festin.

Debout près de l’arbre, j’ai contemplé cette danse en souriant, esquivant la chute des graines et émerveillé par un nouveau maillon de la toile de vie du shihuahuaco.

Crédits

Photo de couverture : Paul Rosolie

Photo 1 : Mohsin Kazimi

Photo 3 : Stephane Thomas

Photo 5 : Paul Rosolie

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Article écrit par
Paul Rosolie

Paul Rosolie est un écologiste et auteur américain. Publiés en 2014, ses mémoires intitulés Mère de Dieu relatent son travail de conservation dans la forêt amazonienne du sud-est du Pérou.

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