En Amazonie, l’exploitation de l’or laisse derrière elle une traînée toxique

Alors que les mines industrielles jalonnent les Andes, une ruée vers l’or d’un autre genre est en cours au cœur de l’Amazonie. De petites équipes de mineurs artisans parcourent les lits des rivières à la recherche de paillettes d’or portées en aval par le courant. À l’aide d’outils rudimentaires, ils défrichent la forêt et arrosent le sol avec des tuyaux à haute pression pour le transformer en boue afin d’en extraire de minuscules particules d’or. Cette boue est ensuite lavée dans des dragues de fortune recouvertes de tapis qui retiennent l’or alors qu’il se dépose au fond en raison de sa densité. L’or passe dans un baril où il est mélangé à du mercure, ce qui lui donne la forme d’une boule spongieuse. Un chalumeau brûle ensuite le mercure, qui se libère dans l’air.

L’exploitation aurifère artisanale et à petite échelle laisse derrière elle un environnement dévasté. Non seulement les arbres ont disparu, mais plusieurs mètres de terre végétale et de sol ont été enlevés, laissant place à des paysages sableux parsemés de flaques contaminées au mercure. La perte de carbone dans ces sols sableux entrave la régénération végétale, tandis que les cours d’eau et l’atmosphère à proximité sont pollués par le mercure rejeté dans les rivières et les ruisseaux et piégé dans la canopée environnante. Cette transformation du paysage a des conséquences dévastatrices pour l’environnement ainsi que pour les moyens de subsistance et le bien-être des communautés voisines et en aval. Le mercure, une puissante neurotoxine, a contaminé les poissons et les cours d’eau au cœur de l’Amazonie, causant des troubles du développement et des dommages neurologiques aux enfants et aux adultes qui y sont exposés.

Un problème complexe qui touche l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement mondiale 

Bien qu’il existe des concessions minières légales dans les zones qui bordent ou chevauchent la forêt, la majorité de l’exploitation minière artisanale est non officielle et, dans une large mesure, illégale : lorsqu’elle est pratiquée sur des terres protégées, des territoires autochtones ou des sites à l’extérieur des concessions.

Bon nombre de ces petites équipes minières non officielles bénéficient du soutien de groupes de narcotrafiquants. Attirés par la promesse de salaires bien supérieurs à ceux offerts par les emplois locaux, les mineurs se laissent séduire par le travail journalier sur ces sites.

Il est extrêmement difficile, voire souvent dangereux, pour les gouvernements régionaux et nationaux de patrouiller dans ces régions éloignées. Les activités minières sont dispersées, évoluent rapidement et se déroulent dans la clandestinité. Les efforts visant à formaliser le secteur minier artisanal progressent lentement, étant freinés par la difficulté de réglementer une industrie aussi éparse et risquée, compliquée de surcroît par la corruption et les pots-de-vin.

Malgré les difficultés rencontrées par les gouvernements pour contrôler l’exploitation minière sur le terrain, la demande mondiale continue d’alimenter son expansion. La demande des consommateurs d’or de pays tels que les États-Unis, la Chine et l’Inde stimule une grande partie de l’exploitation minière artisanale non officielle et illégale en Amérique latine. Sans systèmes de suivi et de traçabilité solides, l’or illégal entre facilement sur le marché légal et se retrouve dans des biens de consommation tels que les bijoux et les téléphones intelligents. Au cours des deux dernières années, le prix de l’or a presque doublé pour atteindre 3 300 $ US l’once, rendant l’exploitation minière légale et illégale encore plus rentable.

Consommation responsable, meilleures politiques et protection des paysages critiques 

Si des cadres et des systèmes de réglementation et de surveillance plus stricts sont nécessaires, un moyen essentiel de protéger ces espaces consiste à y patrouiller et à surveiller toute tentative d’intrusion.

Age of Union investit dans des projets tels que Junglekeepers qui protège les terres situées près de la rivière Las Pierdas, à proximité immédiate du haut lieu de l’exploitation minière artisanale de La Pampa, juste à l’extérieur de Puerto Maldondo au Pérou. L’Institut Juma, un autre partenaire d’Age of Union, patrouille également sur 179 000 hectares de territoire autochtone menacé par d’éventuelles invasions de chercheurs d’or.

« L’exploitation aurifère, comme d’autres activités illégales, a un impact profond sur les communautés autochtones. En plus d’envahir leurs territoires, l’exploitation minière entraîne la contamination de l’eau et la perte de biodiversité des plantes et des animaux qui servent de nourriture et font partie d’une chaîne essentielle au maintien de la vie dans la forêt et sur la planète dans son ensemble », explique Joielan Xipaya, ingénieure forestière et coordinatrice générale à l’Institut Juma.

« Composée de membres autochtones et de partenaires issus d’unités de conservation voisines, l’équipe de gestion territoriale surveille en permanence le territoire et signale les activités illégales, défendant ainsi la vie et la culture de son peuple. »

Des technologies novatrices ou adaptées améliorent l’efficacité de la surveillance (applications communautaires de surveillance forestière et drones), tentent de réduire l’utilisation du mercure dans le processus d’extraction et améliorent l’efficacité du traçage et de la traçabilité de l’or. De leur côté, les consommateurs peuvent adopter un comportement d’achat responsable. Lorsqu’ils achètent des bijoux ou des appareils électroniques, ils doivent se renseigner sur les politiques d’approvisionnement des entreprises et poser des questions sur l’origine des matières premières et la manière dont elles ont été extraites.

Ce n’est qu’en travaillant tout au long de la chaîne d’approvisionnement de l’or, en protégeant les habitats critiques et les territoires autochtones, en pratiquant en amont une exploitation minière responsable, en améliorant les techniques de traitement, en rendant le suivi plus fiable, en menant des recherches approfondies sur les consommateurs et en exerçant une pression sur eux qu’un changement systémique pourra avoir lieu.