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Paul Rosolie : Peut-on trouver un remède dans les trésors de l’Amazonie?

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Sous l’écorce des arbres amazoniens se trouvent des composés qui ont changé le cours de l’histoire.

Auteur

Paul Rosolie

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Sous l’écorce des arbres amazoniens se trouvent des composés qui ont changé le cours de l’histoire.

Les peuples autochtones d’Amazonie utilisaient le latex des arbres depuis des siècles avant qu’il ne fasse sensation en Europe et en Amérique du Nord pendant la révolution industrielle.

C’est en entaillant les arbres à caoutchouc qu’il était possible d’extraire la substance qui allait devenir cruciale pour la production de joints d’étanchéité, de tuyaux, de revêtements de fils, de boyaux, de pneus, etc. Le latex était si important pour l’industrie que, dans les années 1920, Henry Ford a tenté d’obtenir 2,5 millions d’acres au Brésil afin de pouvoir produire des hévéas à grande échelle (Ford Rubber Plantations in Brazil – The Henry Ford). Son projet a échoué et les arbres à caoutchouc ont finalement été exportés (volés) d’Amazonie pour être cultivés en Asie, mettant fin à la dépendance du monde vis-à-vis de l’Amazonie sauvage pour le latex. Il faut également noter que ce soudain boom économique a entraîné une période de génocide et d’esclavage, les barons du caoutchouc ayant envahi l’Amazonie pour récolter la précieuse substance. C’est l’un des chapitres les plus sombres des annales de l’exploitation de l’Amazonie.

Ce n’est pas la seule fois qu’un arbre dans la jungle a eu des répercussions dans le monde entier.

Sur la rivière Las Piedras, les communautés autochtones utilisent encore une variété de composés qui leur permettent de vivre dans les conditions difficiles de l’Amazonie sauvage. L’un des exemples les plus fascinants est le barbasco. Ce composé peut être écrasé et introduit dans un cours d’eau pour assommer les poissons. Les petits poissons constituent une part importante du régime alimentaire des autochtones, et les cours d’eau sont un lieu privilégié pour les attraper. Les hommes et les femmes de la région versent le barbasco dans une zone de la rivière et attendent que les toxines se répandent dans l’eau. Les poissons assommés remontent à la surface où les pêcheurs peuvent récupérer les spécimens comestibles. Comme le composé ne tue pas les poissons, ceux qui ne sont pas capturés peuvent se remettre de l’anesthésie.

En me promenant avec Juan Julio Durand, un naturaliste autochtone et l’un des membres fondateurs de Junglekeepers, j’ai pu voir un vaste éventail de plantes médicinales en action. Un champignon appelé « doigt noir » sert à soigner les infections de l’oreille, le « matachacarero » permet de traiter les calculs rénaux et le « sano-sano » ou « shapunbilla » est employé pour traiter les inflammations rénales et contrôler la fièvre. Il existe des centaines d’autres plantes médicinales capables de traiter des problèmes aussi divers que le diabète de type 2, l’impuissance ou les morsures de serpent. Il ne faut pas oublier que les médicaments chamaniques comme l’ayahuasca (en anglais seulement) ont le potentiel psychothérapeutique de traiter la dépression, de favoriser la désaccoutumance à l’héroïne ou à l’alcool et de guérir des traumatismes psychologiques profondément enracinés.

Mais les plantes les plus remarquables sont sans doute les composés qui tuent les bactéries. Selon le CDC (en anglais seulement), plus de 3 millions d’infections résistantes aux antimicrobiens sont diagnostiquées chaque année aux États-Unis et causent plus de 48 000 décès. Malgré les progrès de la recherche médicale, les infections font encore des millions de victimes dans le monde chaque année. Nous sommes dans une course constante pour devancer les bactéries résistantes aux antibiotiques (en anglais seulement).

J’ai passé dix-sept ans à travailler dans la forêt tropicale et une fois, j’ai frôlé la mort à cause d’un staphylocoque résistant aux antibiotiques. Une autre fois, après des mois de traitements antibiotiques infructueux à New York par les meilleurs médecins spécialisés des maladies infectieuses, je me suis retrouvé aux prises avec une dangereuse infection, à peine capable de sortir du lit. C’est Juan Julio qui m’a finalement guéri. Il l’a fait avec la sève d’un arbre.

À l’heure où nous nous empressons de protéger la forêt et la faune anciennes de l’Amazonie occidentale, l’un des plus grands trésors que nous préservons est le savoir traditionnel autochtone. Durement acquises au fil des siècles, ces connaissances sont transmises de génération en génération et sont totalement irremplaçables une fois perdues. Nous savons tous que les forêts tropicales sont des trésors, mais nous négligeons souvent le fait que les champignons, l’écorce des arbres et les diverses lianes et épiphytes de la forêt tropicale recèlent des dizaines de composés au puissant potentiel chimique. Nous ne faisons qu’effleurer la surface de ce que la pharmacologie de l’Amazonie a à offrir, mais grâce à la préservation écologique et culturelle en cours, un nouvel avenir très excitant se dessine.

Junglekeepers travaille actuellement avec les communautés autochtones et s’engagera bientôt dans une recherche collaborative pour documenter et préserver ces connaissances cruciales. Contrairement au passé, où des étrangers volaient le savoir durement acquis par les guérisseurs autochtones, ce travail sera effectué par les personnes à qui appartient ce patrimoine culturel de connaissances. Il est impossible de prévoir quels remèdes incroyables la forêt tropicale nous réserve encore.

Crédits

Photo 1 : Les champignons jouent un rôle crucial dans la forêt tropicale, et de nombreux champignons sont vénérés par les populations locales pour leurs qualités alimentaires ou leurs propriétés médicinales.

Photo 2 : Les épaisses forêts luxuriantes de la rivière Las Piedras constituent une matrice complexe de ressources biotiques qui reste peu étudiée et fortement menacée.

Photo 3 : Les rhizomes de l’heliconia rostrata (famille : Heliconiaceae) sont connus pour leur propriété antivenimeuse et sont utilisés pour soigner la jaunisse, les douleurs intestinales et l’hypertension.

Photo 4 : Un chaman autochtone se prépare pour une longue nuit à travers d’autres dimensions lors d’une cérémonie d’ayahuasca sur la rivière Las Piedras; 2022.

Photo 5 : Juan Julio Durand, naturaliste autochtone et cofondateur des Junglekeepers, a travaillé toute sa vie pour préserver la culture et sauver l’habitat amazonien.

Photo 6 : Araçari de Maria (Pteroglossus mariae)

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Article écrit par
Paul Rosolie

Paul Rosolie est un écologiste et auteur américain. Publiés en 2014, ses mémoires intitulés Mère de Dieu relatent son travail de conservation dans la forêt amazonienne du sud-est du Pérou.

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