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La femme au cœur de la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée.

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Age of Union s’est entretenu avec Lamya Essemlali, la fondatrice de Sea Shepherd France, avant la première européenne officielle de CAUGHT à Paris le 22 octobre.

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Age of Union : D’où vient votre engagement auprès de Sea Shepherd, et quel en a été le catalyseur?

Lamya : Mon engagement avec Sea Shepherd a commencé par ma rencontre avec Paul Watson en janvier 2005 à Paris. Je suis retournée aux études pour obtenir une maîtrise en sciences de l’environnement parce que je savais que je voulais contribuer à la protection de la planète. Je n’avais pas nécessairement ciblé l’océan, même s’il m’attirait beaucoup. Mais c’est ma rencontre avec Paul qui m’a fait prendre cette direction. Son discours a résonné en moi parce qu’il mettait en mots des choses que je ressentais, mais dont je ne prenais pas forcément conscience de manière aussi précise. L’action qui accompagnait la philosophie a également joué un rôle. J’ai un caractère fougueux, et j’étais un peu frustrée par ce que je pouvais faire au sein des organisations existantes. J’avais rejoint Greenpeace, le WWF, mais quand j’ai découvert Sea Shepherd, je m’y suis reconnue. Les choses ont progressé très vite, car j’ai tout de suite rejoint les navires. J’ai participé à une première mission aux Galapagos, puis en Antarctique. L’année suivante, je suis rentrée en France et j’ai fondé la branche française de Sea Shepherd. Nous avons commencé à récolter des fonds, à communiquer sur l’importance de la protection des océans et sur le travail de Shepherd. De fil en aiguille, j’ai élaboré mes propres campagnes. Nous avons constitué une équipe, et aujourd’hui, la branche française est l’un des plus grands chapitres de Sea Shepherd dans le monde.

Qu’est-ce qui vous frustrait dans ces mouvements, et pourquoi avez-vous adopté une approche plus combative du militantisme?

J’ai toujours été frustrée par le sentiment de n’être qu’un témoin et de prêter attention sans intervenir. Paul Watson a eu le courage et l’originalité de penser autrement, de refuser d’être un simple témoin de la destruction du monde. Nous vivons dans des sociétés qui nous disent de ne pas sortir des sentiers battus, d’éviter d’être un acteur du changement. Nous nous en remettons entièrement aux gouvernements, nous signons des pétitions, et c’est tout. Certaines pétitions ont de la valeur, mais lorsque nous parlons de choses illégales, il ne s’agit plus de signer des pétitions. Ça revient à signer des pétitions contre le trafic d’organes, d’armes et de drogue. Dans les zones de non-droit comme la haute mer, signer des pétitions ne suffit pas. C’est là que Sea Shepherd comble un vide en quelque sorte.

À quoi ressemble le fonctionnement d’une organisation basée sur l’océan plutôt que sur la terre ferme? Comment cela affecte-t-il votre travail? 

La haute mer est une zone de non-droit. Il n’y a pas de véritable autorité et c’est très complexe. Lorsque nous intervenons, nous le faisons avec Interpol et nous essayons de combler un vide juridique. Cela diffère du problème de l’aide européenne ou des eaux territoriales dans lesquelles des lois s’appliquent, et pour lesquelles les gouvernements sont responsables du contrôle et des sanctions. Malheureusement, certains pays n’ont ni les moyens ni la volonté politique de faire appliquer ces lois et les sanctions sont si dérisoires qu’elles ne sont pas dissuasives. Et il faut également tenir compte du fait que le grand public ignore largement ce qui se passe en mer, précisément parce qu’il est difficile d’y avoir accès. L’opacité et l’impunité règnent. Dans le cas des dauphins, la pêche n’est pas illégale et c’est bien là le problème. Il faut changer la législation.

Le film CAUGHT nous montre que la plupart des Français ne sont pas conscients de ce qui se passe sur leurs côtes. Pourquoi?

Parce que, malheureusement, les Français sont très déconnectés de l’océan. Nous avons 3000 kilomètres de côtes en France métropolitaine, mais les Français connaissent très peu l’océan. Nous avons d’abord montré des dauphins morts à La Rochelle, une ville côtière. Je m’en souviens très bien : les gens disaient que ce n’était pas un vrai dauphin et qu’il n’y avait pas de dauphins en France.

On est confrontés à une ignorance totale et c’est ce que Sea Shepherd France s’efforce également de souligner. Ce phénomène est dû à de multiples facteurs : un manque de pression de la part de l’opinion publique envers les politiciens pour qu’ils fassent mieux et une grande méconnaissance du problème par les gens. Notre rôle est de braquer les projecteurs sur ces questions et de sensibiliser la France à l’énorme responsabilité qui est la nôtre. Ce que je dis toujours, c’est que la protection de l’océan devrait être une priorité nationale en France.

Quel résultat espérez-vous de la projection de CAUGHT à Paris samedi? 

J’espère qu’elle contribuera à sensibiliser les gens afin qu’ils s’interrogent sur le lien entre leurs choix de consommation et leur impact sur l’océan. Nous avons vu de nombreuses personnes s’émouvoir devant les cadavres de dauphins exposés, mais continuer à manger du thon, du merlu et de la morue sans s’interroger sur les conditions de pêche.

La solution est complexe, car elle implique de changer des habitudes alimentaires bien enracinées dont, paradoxalement, il est facile de se défaire.

Vous avez parcouru un long bout de chemin pour en arriver à ce stade. Comme nous le voyons dans le documentaire, la culpabilisation n’a pas fonctionné sur vous. Comment avez-vous changé vos habitudes alimentaires?

J’ai toujours aimé les animaux, d’aussi loin que je me souvienne, depuis que je suis toute petite, et malgré cela, j’en ai mangé pendant longtemps tout en me disant que j’étais incapable de tuer un agneau. Nous sommes nombreux à être dans cette dissonance cognitive… Ce qui m’a finalement fait changer, c’est la prise de conscience d’un sentiment d’hypocrisie. Je me sentais hypocrite parce que les animaux et la planète faisaient partie de moi. Lorsque j’ai pris conscience de la souffrance et de l’impact de la consommation de viande et de poisson sur la planète — il n’y en a pas assez pour nourrir 8 milliards de personnes — j’ai eu du mal à m’accrocher à mes opinions.

Quel est le rapport entre la consommation de viande et de poisson et la culture française? 

C’est le mode de vie français : les gens ont le sentiment que vous empiétez sur leur liberté… Sauf que ce n’est pas seulement une question individuelle, car l’impact de la consommation de viande et de poisson est un problème collectif et multiforme. Il se répercute sur la planète et sur les personnes les plus vulnérables. Aujourd’hui, la région du monde la plus visée par les braconniers est l’Afrique de l’Ouest; des poissons essentiels à la subsistance des populations locales sont pêchés pour alimenter les étagères des poissonneries et les restaurants de luxe. Il s’agit d’un problème environnemental, humanitaire et éthique.

Pensez-vous que nous allons au moins dans la bonne direction du point de vue des consommateurs?

Certainement, mais la France est encore en retard par rapport aux pays anglophones. Cette tendance se confirme, car de plus en plus de gens en parlent et les restaurants s’adaptent. On le voit aussi dans les épiceries. L’offre de produits d’origine végétale s’est beaucoup améliorée, mais nous sommes encore très en retard par rapport aux États-Unis, à l’Allemagne ou aux Pays-Bas. Cette semaine, nous avons publié le premier livre de recettes Contre-courant de Sea Shepherd, dans lequel figurent des recettes végétales provenant de nos propres navires. En 48 heures, nous avons vendu tout notre stock et le livre connaît un franc succès.

 

Qu’est-ce qui vous donne le plus de satisfaction dans votre travail? 

Je pense que ce qui me donne le plus de satisfaction, c’est le travail lui-même. C’est le fait d’être dans le feu de l’action et de ne pas attendre que les choses se passent. C’est plus qu’une simple satisfaction; ça m’empêche de me laisser abattre parce que sinon, c’est trop dur. Quand on a une certaine conscience du monde dans lequel on se trouve, même si on se sent impuissant et inutile, soit on fait l’autruche et on fait en sorte de ne pas y penser parce que c’est trop dur, soit on a le cafard. L’alternative à ces deux extrêmes est de se sentir utile. C’est ce qui est important, quelle que soit la manière dont on le fait, c’est de s’impliquer.

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